Le chant d'Euterpe L'AVENTURE DE LA MUSIQUE, Par Catherine MASSIP, 1991

Centaure jouant de l'aulos double. Camée d'agate-onyx. 

 Loin dans l'Histoire, quand les premiers hommes sont apparus, leur langage se limitait sans doute à quelques sonorités gutturales. L'évolution aidant, leurs mœurs s'affinèrent et vint un jour où l'un d'entre eux utilisa différemment sa voix. Par accident, il émit une série de sons modulés et harmonieux. Etonnés et charmés par ces nouvelles sonorités, les hommes entreprirent d'utiliser cette merveilleuse faculté dont la nature les avait dotés. Sans doute ignorèrent-ils que par le chant, ils venaient de créer la musique. Cette fable constituerait-elle la vérité sur la naissance de cet art ? Quand les siècles et l'ambition des hommes élevèrent entre eux des frontières, que les langues différentes furent bientôt de véritables barrières, les hommes disposèrent toujours d'un moyen d'échanger par un instrument fait de poésie et d'élévation de l'âme, la Musique. Langue universelle, la musique est, depuis la nuit des temps, au cœur de la vie des hommes. Elle exprime leurs joies ou leurs peines, traduit leurs sentiments et porte leurs prières. Art majeur, la Musique prête aussi son pouvoir magique à la danse, à la poésie, au théâtre. Thème d'innombrables illustrations, la musique inspira des générations d'artistes.

Préface 

Depuis les diatribes de Jean-Jacques Rousseau, une légende tenace veut que la musique soit étrangère à l'esprit français qui trouverait davantage son expression dans la littérature et la peinture. Si l'on devait faire fond sur une telle affirmation, les fastes de l'année Mozart et le succès populaire de la célébration du bicentenaire de ce grand auteur, en 1991, opposeraient un éclatant démenti et constitueraient une belle revanche. Comment, en outre, expliquer l'intérêt toujours croissant du public français pour les diverses formes de la musique? Celle-ci n'est-elle pour nous que divertissement, simple effet de mode, ou appartient-elle à la sensibilité profonde de notre culture? Pourquoi ne pas rechercher dans le passé les réponses à ces questions et tenter de résoudre ce dilemme ? La musique a besoin de médias pour exister, qu'il s'agisse de voix ou d'instruments; l'écrit lui est indispensable tout autant pour se transmettre et se perpétuer. Paradoxalement, c'est l'image qui assure une telle permanence et qui atteste la présence de ce « noble art » depuis les temps anciens. Qui plus est, quand d'autres témoignages font défaut, les images sont porteuses des seules informations disponibles et incontestables. Encore faut-il savoir les reconnaître et les interpréter. C'est la démarche suivie avec bonheur dans « Le chant d'Euterpe ». Voici bientôt quatre années, la Bibliothèque Nationale et la Banque Nationale de Paris ont décidé d'associer leurs compétences et leurs efforts pour l'édition d'ouvrages présentant les collections de la Bibliothèque Nationale. Après les trois premiers ouvrages qui furent réalisés avec les départements des Estampes, des Manuscrits et des Cartes et Plans, « Le chant d'Euterpe » nous fait découvrir les trésors du département de la Musique, sous la remarquable direction de son Conservateur en chef, Catherine Massip.

Avant-Propos

Le chant d'Euterpe se veut une promenade au sein des collections de la Bibliothèque Nationale, guidée par l'ail du musicien à la recherche des images illustrant la présence de la musique dans l'activité humaine. Une promenade qui nous entraine non seulement au Département de la Musique mais aussi dans tous les Départements, Cabinet des Manuscrits occidentaux et orientaux, Cabinet des Estampes, Département des Cartes et Plans, Département des Imprimés et Cabinet des Médailles. Parmi ces images, il faut ranger la notation musicale elle-même et son graphisme. Cette écriture familière au musicien est un langage codé qui demeure incompréhensible à ceux qui n'en connaissent pas les clés. Aussi sera-t-elle peu présente dans cet ouvrage sauf lorsqu'il s'agira de retracer un portrait musical de Mozart à travers les collections de la Bibliothèque Nationale. Mais comment fixer en image l'univers du son et des perceptions auditives? Ici réside le paradoxe fondamental de l'iconographie musicale. Depuis l'Antiquité, la musique est associée à des scènes de fêtes ou à des célébrations religieuses mais c'est seulement la représentation de l'instrument qui révèle la présence de la musique. Ainsi l'image de la musique fait toujours appel à l'imagination du spectateur incité à transposer et enrichir le dessin à partir de sa propre expérience auditive. Ce hiatus permanent entre l'œil et l'ouïe explique peut-être l'extraordinaire richesse de l'iconographie musicale et sa valeur hautement symbolique jusqu'à la période classique. Plus tard, le rationalisme du Siècle des Lumières fera vaciller le concept théorique et allégorique de la musique. L'époque révolutionnaire l'anéantira. Les images évoquant la musique deviendront alors utilitaires et descriptives, liées à la vie sociale et à la technique musicale. Une certaine culture allégorique semble alors avoir disparu. L'iconographie musicale est devenue une véritable discipline qui possède d'excellents spécialistes, à la fois historiens d'art et musicologues. Elle est maintenant dotée d'un riche ensemble de publications, de collections d'études et de périodiques scientifiques qui ont servi de référence constante à ce livre et que l'on trouvera mentionnés dans la bibliographie. En examinant plusieurs milliers d'images, certains thèmes paraissent franchir les millénaires et s'imposer comme des figures évidentes et permanentes de la Musique : sa fonction symbolique, la fascination intellectuelle exercée par les supputations théoriques, sa place éthique et religieuse, sa présence dans la vie sociale et son indissoluble union avec la danse. Mais ce livre n'est pas uniquement un recueil d'iconographie musicale, il est aussi une invitation à parcourir une partie de l'immense histoire de la Musique. Ceux dont la soif de savoir dépasse l'ambition de cet ouvrage sauront se reporter aux nombreuses et excellentes encyclopédies musicales qui présentent les théoriciens, les compositeurs, leurs œuvres et l'évolution des styles et des formes.

 Notre parcours s'achève avec Mozart, symbole du classicisme en musique.

Symbole d'une époque où deux mille ans de conquêtes techniques viennent à maturité, où l'outil musical, langage et instruments, se stabilise avant de s'agiter, au XIXe siècle, puis d'éclater au XXe. Cette vision grandiose et synthétique du créateur et de son œuvre doit cependant être nuancée car elle est née de la place objective qu'on lui a assignée dans l'évolution historique des formes musicales. Elle ne tient pas compte du Mozart qui choque et qui dérange, celui des trois dernières années à Vienne. Pourtant, cette vision rappelle opportunément que la culture classique s'est abreuvée à deux sources essentielles, l'une judéo-chrétienne, l'autre gréco-romaine, dont on ne peut nier l'importance, même en filigrane, chez les hommes des Lumières. L'importance de la Musique, théorique et pratique, dans ces deux cultures, est rarement reconnue sinon par les spécialistes. Du statut d'art libéral, elle est passée au rang des arts mécaniques, tandis que le musicien, serviteur des dieux et garant de l'éthique de la cité, devenait un artisan habile soumis aux volontés du prince. N'est-ce pas l'une des gloires de Mozart puis, après lui, de Beethoven et de Wagner d'avoir refusé cette servitude ? L'un des buts de ce livre, outre celui de montrer que la musique fut longtemps considérée comme un domaine de la recherche théorique, est de rappeler la permanence du fait musical dans toutes les manifestations de la vie humaine. 

Catherine Massip
Directeur du Département de la Musique
de la Bibliothèque Nationale

Bibliographie 

Quelques textes anciens (éditions ou fac-similés récents) 

Thoinot Arbeau, Orchésographie. Genève, Minkoff, 1976.
Jean Le Rond d'Alembert, Eléments de musique théorique et pratique. Ed. J.M. Bardez. Paris ; Genève, Slatkine, 1980.
Joseph-Marie Amiot, Mémoire sur la musique des Chinois. Reprint. Genève, Minkoff, 1973.
Claude-Marc Magny, Principes de chorégraphie. Genève, Minkoff, 1980.
Marin Mersenne, Harmonie universelle. Ed. F. Lesure. Paris, C.N.R.S., 1986.
Jean-Philippe Rameau, Traité de l'harmonie. Madrid, Arte tripharia, 1984.
Le Roman de Fauvel. New York, Broude, 1990.

Ouvrages consultés

Seuls sont indiqués les dictionnaires et encyclopédies ayant fourni des éléments importants pour le choix de l'iconographie.
A la cour du Grand Moghol. Exposition Bibliothèque Nationale, 1986.
Luigi Agustoni, Le Chant grégorien. Mot et neume. Rome, Herder, 1969.
James R. Anthony, La Musique en France à l'époque baroque. Paris, Flammarion, 1981.
(Harmoniques).
François Avril, L'Enluminure à la cour de France au XIV siècle. Paris, Chêne, 1978.
Alberto Basso, éd. Dizionario enciclopedico universale della musica e dei musicii. Torino, UTET, 1984.
Marcelle Benoit, Versailles et les musiciens du roi 1661-1733. Étude institutionnelle et sociale. Paris, A. et
J. Picard, 1971.
Heinrich Besseler, Peter Gülke, Schriftbild der Merstimmigen Musik. Leipzig, Deutscher Vertag tur
Musik, 1973. (Musikgeschichte in Bildern).
Edmund A. Bowles, Musikleben im 15. Jahrhundert. Leipzig, Deutschet Verlag für Musik, 1977.
(Musikgeschichte in Bildern).
Edmund A. Bowles, La Pratique musicale au Moyen Aze. Genève, Minkoff; Paris, Lattes, 1983.
(Iconographie musicale).
Roger Bragard, Ferdinand J. de Hen, Les Instruments de musique dans la e 'soie Bruxeles, A. de
Visscher, 1973.
Michel Brenet, Les Concerts en France sous l'Ancien Régime. Paris, 1900.

Alexander Buchner, Encyclopédie des instruments de musique. Paris, Gründ, 1980.
P. Commelin, Mythologie grecque et romaine. Paris, Garnier, 1960.
Marie-Françoise Christout, Le Ballet de cour au XVII siècle. Genève, Minkoff, 1987. (conographie Albert Cohen, Leta E, Miller, Music in the Paris Academy of Sciences 1666-1793. An Index. Detroit, Information Coordinators, 1979.
Jules Combarieu, Histoire de la musique des origines au début du XX siècle. Paris, A. Colin, 1953.
Sherwood Dudley, Les premières versions françaises du Mariage de Figaro de Mozart dans « Revue de Musicologie », 1983, t. 69/1.
Don Juan. Exposition Bibliothèque Nationale, 1991.
Norbert Dufourca, Le Livre de l'orgue français 1589-1789, Paris, A. et J. Picard. T. IV, La Musique, 1972.
Norbert Dufourca, éd. La Musique, les instruments, les œuvres. Paris, Larousse, 1965.
Bernard Gagnepain. La Musique française du Moyen Age et de la Renaissance. Paris, P.U.F., 1961.
Grove Dictionary of Music and Musicians. London, MacMillan, 1981.
Reinhold Hammerstein, Diabolus in musica. Studien zur konographie der Musik im Mittelalter. Bern ;
München, 1974.
Reinhold Hammerstein, Die Musik der Engel. Bern ; München, Francke Verlag, 1962.
Imago musicae. Annuaire international d'iconographie musicale. Ed. Tilman Seebass. Kassel, Bärenreiter ; Durham, North Carolina, Duke University Press, 1984 - 9 vol. parus.
Les Instruments de musique du monde entier. Paris, Albin Michel, 1978.
Denise lourdan-Hemmerdinger, Le nouveau papyrus d'Euripide: qu'apporte-t-il a la theorie et à l'histoire de la musioue? dans « Les Sources en musicologie. Actes des Journees d'etudes de la Société française de Musicologie, 1979 ». Paris, C.N.R.S., 1981.
François Lesure, L'Opéra classique français XVII et XVIII siècles. Genève, Minkoff, 1972. (Iconographie musicale).
Brigitte Massin, éd. Guide des opéras de Mozart. Paris, Fayard, 1991.
(Les Indispensables de la musique).
Jean et Brigitte Massin, Wolfgang Amadeus Mozart. Paris, Fayard, 1970.
Albert P. de Mirimonde, Astrologie et musique. Genève, Minkoff, 1977. (Iconographie musicale).
Albert P. de Mirimonde, L'Iconographie musicale sous les rois Bourbons. La musique dans les arts
Blastiques (xVI:-XVII sièes), Paris, A. et J. Picard, 1975. (La Vie musicale en France sous les tois Albert P. de Mirimonde, Sainte-Cécile métamorphoses d'un thème musical. Genève, Minkoff, 1974.
(Iconographie musicale).
Mozart en France. Exposition Bibliothèque Nationale, 1956.
Wolfgang Amadeus Mozart. Correspondance. Trad. G. Geffray. Paris, Flammarion, 1986-1991.
Music in the classic period. New York, Pendragon Press, 1985.
La Musique et le rite sacré et profane. Actes du XIII® congrès de la Société internationale de Musicologie, 1982, Strasbourg, 1986-1987.
La Passion des manuscrits enluminés: bibliophiles français 1280-1580. Exposition Bibliothèque
Nationale, 1991.
Constant Pierre, Histoire du Concert spirituel 1725-1790. Paris, Société française de Musicologie, 1975.
Revue de Musicologie. Échelles musicales : modes et tempéraments. Numéro spécial. 1985, t. 71/1-2.
H.C. Robbins Landon, Dictionnaire Mozart, Paris, J.-C. Lattès, 1990.
Herbert Schneider, Die französische Kompositionslehre in der ersten Hälfte des 17. Jahrhunderts. Tutzing,
H. Schneider, 1972.
Joseph Smits van Waesberghe, Musikerziehung, Lehre und Theorie der Musik in Mittelalter. Leipzig, Deutscher Verlag für Musik, 1969. (Musikgeschichte in Bildern).
Bruno Stäblein, Schriftbild der einstimmigen Musik, Leipzig, Deutscher Verlag für Musik, 1975.
(Musikgeschichte in Bildern),
Max Wegner, Griechenland, Leipzig, Deutscher Verlag für Musik, 1967. (Musikgeschichte in
Bildern),
Emmanuel Winternitz, Musical Instruments and their Symbolism in Western Art. Studies in Musical Iconology. New Haven, London, Yale University Press, 1979.
Teodor de Wyzewa et G. de Saint-Foix, Wolfgang Amadeus Mozart. Paris, R. Laffont, 1986.

TABLE DES MATIÈRES

Préface 9
Avant propos 10

Chapitre 1 ALLEGORIES ET SYMBOLES 12

Apollon musagète
Les Muses
Mercure
Orphée
Vénus
Bacchus
Les sirènes
L'allégorie de la Musique
Les gravures
Sainte Cécile

Chapitre II SCIENCE OU ART 34

Mathématiques et intuitions
Pythagore
Franchino Gaffurio
Boèce
La notation musicale
Gioseffo Zarlino
La polyphonie et la mesure
Athanasius Kircher
L'enseignement de la musique
Marin Mersenne
Jean-Philippe Rameau
Les instruments de musique
Regards vers les autres musiques

Chapitre III LOUANGE DIVINE 68

L'Ancien Testament
Les psautiers
Les Livres d'heures
Les anges musiciens
La liturgie chrétienne
L'Apocalypse
Le chant grégorien
Musique céleste
La notation neumatique
La polyphonie

Chapitre IV FÊTES ET CONCERTS 98

Musiques de cour
Les banquets
Les Musiques de ville
Les trompettes
Le Roman de Fauvel
La Chasse
Les sacres
Les concerts
Le Concert spirituel 

Chapitre V MUSIQUE ET DANSE 122

Aux sources de la danse 
Rome
L'Egypte
L'âge de l'écrit
La Grèce
Thoinot Arbeau
Les Étrusques
Du ballet de cour à l'opéra
L'Inde
Les nouveaux chorégraphes

Chapitre VI PUIS VINT MOZART 150

L'apprentissage
Vienne
Mithridate
La danse
Mannheim-Paris
Variations
Salzbourg-Munich 1779-1781
Don Giovanni
Les dernières années

Passé ou avenir : vers d'autres aventures... 179

Table des illustrations 183

Bibliographie 187 

Nous tenons à exprimer notre reconnaissance à l'ensemble des collaborateurs du Service Photographique de la Bibliothèque Nationale pour la remarquable qualité des travaux réalisés et l'intérêt qu'ils ont porté à la création de cet ouvrage. Nous remercions tout particulièrement Monsieur Gérard Cohen, responsable du Service ainsi que Madame Josiane Limousin et Madame Brigitte Ployart.