Le Grand Déclassement à Propos d'une Commémoration, Pierre Chaunu
Présentation du livre
Résumé
Éditions : Robert Laffont
Année : 1989
Pages : 297 P.
Voici le livre d'humeur et de réflexion d'un de nos plus grands historiens, fondateur de l'histoire quantitative, dont ('"esprit républicain" supporte mal le gâchis de la dispendieuse commémoration de l'archétypale, très sainte, sanglante et belliqueuse Révolution.
Le processus improprement dit révolutionnaire entrave, retarde, compromet l'évolution en cours d'une société vivante, moderne, en heureuse et rapide mutation dont les indices par tête venaient de rattraper les performances de la créative Angleterre, que la France surclassait, alors, de toute manière, par le nombre et le poids.
Une structure d'Etat qui s'est figée, le piège d'une série de mauvais choix, l'abandon en 1774 de l'excellente réforme Maupeou, un règlement électoral absurde mettent en place une masse critique de bouleversements erratiques, qui fait émerger la boue, et entraine, au moment où commence la vraie révolution, la révolution industrielle, un des plus grands ratages de l'histoire.
L'inflation, le retour à l'économie de subsistance, l'appauvrissement du patrimoine, la désalphabétisation, la plus atroce des persécutions religieuses, la plus grande flambée d'into-lérance, l'amenuisement irréversible de la fécondité, le "popu-licide" de Vendée et la guerre d'agression qui entraînent un volume de pertes supérieur à celui de 1914-18 méritent-ils tant d'honneur? Était-il convenable à trois ans de l'Acte unique qui scelle l'amitié européenne de commémorer ça?
Pierre Chaunu, né en 1923, professeur à Paris-Sorbonne, membre de l'Institut, chroniqueur régulier au Figaro, a publié, de Séville au Temps des réformes, de La Mémoire de l'éternité à La France, soixante titres qui constituent l'une des œuvres de recherche et de réflexion historiques les plus remarquables de ce temps.
Ce petit livre est d'humeur et de commande comme tout ce qui a trait par ces jours de galerne à la célébration nationale, de commande, non sans réticence, acceptée. Je m'étais bien promis pourtant de ne pas tomber dans le piège qui nous est depuis 1981 tendu, de célébrer ou de contre-célébrer l'événement d'en haut désigné de notre histoire que, comme l'observaient les Goncourt, on aborde en général « avec mille salamalecs. » De commande donc et d'humeur quelque peu chagrine. Comment, en effet, quand on a tant soit peu, au sens apparu à la fin du XVIIe siècle, comme moi, l'esprit « républicain », ne pas être pris de nausée par ce qui est en train de devenir une entreprise d'État, de conditionnement ou de manipulation de l'opinion? Oui, trop c'est trop, et il y a sans nul doute mieux à faire.
Oui, j'ai fini par penser que se taire était obéir à l'intimidation.
Intimidation graduée, bien sûr. Vous n'êtes pas très nombreux, amis lecteurs, mais votre amitié fidèle m'est précieuse, vous ne m'imaginez pas soufflant dans la trompette pour un ruban. Je résisterai plus difficilement à la tentation de l'ironie, à la tentation de rire pour cacher l'envie de pleurer. Pleurer de tant de bêtises, de gâchis et de mensonge, dans sa forme la plus efficace, du mensonge par omission.