Du Vél' d'Hiv à la Bombe H, Robert Dautray

En 1942, il fuit les nazis et devient berger. À la Libération, il entre à Polytechnique. 

Pour moi, né en France de deux parents immigrés, la France n'est pas seulement une idée ou un pays, elle est un idéal, un idéal concret. Toute ma vie, je l'ai chérie; toute ma vie, je l'ai cherchée; toute ma vie, je l'ai servie.

Cette France m'est longtemps restée inaccessible. Bien des subtilités françaises m'échappent encore aujourd'hui :

l'art de la conversation, le sel des traits d'esprit et la vivacité des reparties restent pour moi des trésors au scintillement lointain.

Nation admirée, la France est, pour moi, le berceau d'hommes généreux, d'augustes savants et de paysans qui soignent et caressent la terre avec amour. À la mode d'autrefois, ce que ne comprendront peut-être pas mes jeunes lecteurs.

C'est pour me rendre digne d'être son fils que je lui ai consacré tout mon temps et toutes mes forces. Pour elle, j'ai contribué au développement de puissantes techniques, les réacteurs nucléaires et les lasers; pour elle, j'ai aidé à forger de terribles armes, les bombes thermonucléaires; pour elle, j'ai acquis, créé et transmis des savoirs nouveaux, notamment en mathématiques appliquées et en informatique.

Dans les années 1930, Robert Dautray s'appelle encore Robert Kouchelevitz. À l'école, les professeurs ne parviennent pas à prononcer son nom, ses camarades de classe ne jouent jamais avec lui: il doit rentrer tôt à la maison pour aider les parents, de pauvres émigrés russes.
C'est l'Occupation. Pour échapper aux Allemands, la famille se divise. Le père est déporté à Auschwitz d'où il ne reviendra pas. La mère se cache avec ses enfants dans les Alpilles. Robert est berger mais il passe quand même le bac.
A la Libération, il est reçu premier à l'École des arts et métiers. Un professeur l'y remarque et songe pour cet élève hors norme à l'École polytechnique. Sans trop y croire, Robert tente le concours. Il en sort premier, n'en éprouve aucune fierté, sa mère non plus. Ils ont d'autres préoccupations : survivre.
Devenu major de l'X, l'ingénieur-physicien rencontre des hommes importants, est initié aux usages de la bonne société. Mais seuls les mystères de l'atome retiennent l'attention du jeune savant. Une obsession qui permettra à la France, alors très en retard et très soucieuse de s'aligner sur les grandes puissances, de se doter, à la fin des années soixante, de la bombe H, ce glaive si puissant qu'il permet d'assurer la paix entre les nations.