Beaujolaises, Bernard Pivot
Présentation du livre
Résumé
Éditions : Du Chêne
Année : 1978
Pages : 58 P.
Texte Bernard Pivot
Photographies Pierre Cottin
Longtemps je me suis couché de bonne heure. Pour, tôt levé, écrire un puissant et subtil roman d'amour dont le titre était déjà choisi : Les Têtières et les Béragnons. Trois parties : la vigne, le cœur et le vin. Ce serait une grande année pour la littérature et le beaujolais. Ce qui s'épanchait de mon âme, coulait de ma plume et jaillissait des pressoirs formerait un fleuve unique qui romprait les digues de la gloire. Je n'en profiterais pas seul. Les vignerons y gagneraient de la sympathie, le vin de la notoriété. Jusqu'aux vignes qui bénéficieraient de plus-values.
J'envisageais un boom économique, retombée fatale d'un immense succès de librairie.
J'avais douze ou treize ans et, heureusement, la lumière du petit matin, le grincement des portes des cuvages, le hennissement des chevaux résignés aux cadences infernales d'une journée de labourage ou le premier coup double plombé sur un lièvre ou une perdrix m'arrachaient sans douleur au prix Goncourt obtenu avec dispense en raison de mon âge.
Et, sitôt dans l'herbe inégale des charroirs (petits chemins qui séparent les vignes), adieu folios, tirage, renom, immortalité! Le sentiment de nature aura plus contrarié de vocations littéraires qu'il n'en aura inspirées.