Les Mystères du Dauphiné, Claude Muller

Histoires insolites, étranges, criminelles et extraordinaires. 

Avant-Propos 

Le trou béant abrupt s'ouvrait là, à mes pieds, épousant grossièrement la forme d'un entonnoir géant. Il semblait avoir été hâtivement taillé par les mains colossales d'un titan dans le sol calcaire parsemé à l'infini d'une multitude de crevasses plus ou moins larges et profondes.
Autour de lui, quelques conifères dans la force de l'âge lançaient fièrement leurs fines flèches dans le ciel intensément bleu de l'été en altitude. D'autres, moins nombreux, chétifs, presque dénudés, affreusement tordus, atrocement déchiquetés, semblaient émerger d'un milieu hostile malmené par de chimériques conflits et tentaient désespérément d'accéder eux aussi à l'air vivifiant des grands plateaux du Vercors.
Ici et là, douillettement glissées dans le creux de rochers, ayant réussi à retenir un semblant de terre bien rare, quelques touffes de muguet, défleuri depuis peu, s'étaient âprement disputé un emplacement recherché avec de menus buissons de myrtilles qui commençaient timidement à s'épanouir, osant présenter une couleur bientôt d'un bleu noir.
À perte de vue, le même spectacle se répétait partout sur cet étrange lapiaz lézardé et torturé des hauteurs karstiques qui dominent Grenoble, Sassenage et Noyarey. Il était seulement troublé, là-bas, entre deux ou trois tentes aux couleurs délavées, par une mince fumée qui montait calmement dans l'azur, s'étiolait lentement avant de s'y fondre en douceur. Les spéléologues restés en surface préparaient un frugal repas.
Il est vrai que midi approchait insensiblement. Un observateur pouvait d'ailleurs facilement deviner l'heure en regardant l'ombre décroissante des arbres, qui se réfugiait avec nonchalance et se pelotonnait posément au pied des grands troncs gorgés de résine.