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Éditions : Albin Michel
Année : 2001
Pages : 162 P.
Je ne sais ce que Dieu me réserve encore. Mais avant de mourir, je tiens à raconter l'histoire de cette journée où Lajos est venu chez moi pour la dernière fois et où il m'a brutalement dépouillée de tous mes biens. Voilà trois ans que je diffère ce récit.
Mais aujourd'hui, j'ai le sentiment qu'une voix impérieuse, contre laquelle je ne puis me défendre, me presse de retracer les faits de cette journée, de dire tout ce que je sais sur Lajos, parce que tel est mon devoir et qu'il me reste bien peu de temps.
Cette voix, on ne peut manquer de l'entendre. C'est pourquoi je lui obéis au nom de Dieu.
Je ne suis plus toute jeune, ma santé est médiocre, et je sens qu'il me faudra bientôt mourir. Ai-je encore peur de la mort?... Ce fameux dimanche, où Lajos est venu pour la dernière fois, m'a guérie de cette appréhension. Est-ce le temps impitoyable, est-ce le souvenir, tout aussi cruel, ou quelque grâce
particulière, capable, si j'en crois ma religion, de toucher quelquefois les âmes indignes et rebelles - à moins que ce soit, tout simplement, l'expérience ou la vieillesse? - toujours est-il que j'envisage désormais la mort avec sérénité. La vie m'a d'abord
- miraculeusement ! - comblée de tous ses bienfaits, puis elle m'a entièrement dépossédée... que puis-je encore espérer ? Je dois mourir, car telle est la loi et parce que j'accomplis mon devoir.
Je sais que c'est un bien grand mot. Écrit noir sur blanc, il me fait même un peu peur. Oui, voilà un mot orgueilleux dont je devrai répondre un jour devant quelqu'un. Ce devoir, j'ai mis bien longtemps à le comprendre - et je lui ai longtemps résisté, criant et protestant de tout mon désespoir avant de lui obéir. Ce jour-là, j'ai senti pour la première fois que la mort pouvait être une rédemption, qu'elle pouvait être une paix et une absolution. Alors que la vie n'est qu'empoignade et ignominie. Oui, quelle lutte singulière! Qui me l'a donc imposée ? Pourquoi n'ai-je pu l'éviter, alors que j'avais tout fait pour cela?
L'ennemi m'a rattrapée. Et je sais désormais qu'il ne pouvait faire autrement. Car nous sommes liés à nos ennemis - et ceux-là, à leur tour, se montrent incapables de nous échapper.
Né en Hongrie en 1900, issu de la grande bourgeoisie, cet écrivain cosmopolite, personnage brillant, connait dès ses premiers romans un immense succès.
Antifasciste déclaré dans une Hongrie alliée à l'Allemagne nazie, il est mis au ban par le gouvernement communiste de l'après-guerre.
En 1948, il s'exile aux Etats-Unis où il se suicide en 1989.
Depuis une dizaine d'années, il est devenu un auteur-culte de la jeunesse hongroise et jouit dans le monde entier d'une réputation égale à celle d'un Zweig, d'un Roth ou d'un Schnitzler.
« Un style qui par sa superbe, ses chatoiements multiples, l'ironie imperceptible dont il est tissé, le distancie d'emblée de ce qui pourrait parfois sembler académique dans le récit. »
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« Márai fut, à l'instar de Zweig, le chroniqueur perspicace d'un monde finissant. »
Le Monde