

Éditions : Hypérion, Paris
Année : 1941
Pages : 185 P.
Germain Bazin
CONSERVATEUR AU MUSÉE DU LOUVRE
PROFESSEUR A L'ÉCOLE DU LOUVRE
PERILLEUSE est la situation du critique qui s'attaque à un sujet aussi populaire que Fra Angelico. Il trouve en face de lui un corpus d'idées et d'images, dont il subit la tentation. Il lui faut traverser toute la sédimentation littéraire et critique déposée par ses devanciers, pour retrouver l'œuvre dans sa nudité et sa pureté originelles. Mais pour échapper au principe d'autorité, ne risque-t-il pas de tomber dans un artificiel désir d'originalité?
Il doit y avoir en Fra Angelico quelque mystère, attachant pour les uns, irritant pour les autres, car peu d'artistes ont provoqué une quantité aussi considérable d'études. Les nombreux auteurs qui se sont penchés sur son œuvre se divisent en deux groupes : Pour les uns, écrivains catholiques, le mystère de Fra Angelico est un mystère chrétien. Le rayonnement de son œuvre n'est autre que celui de sa sainteté; favorisé de grâces surnaturelles, il a faut servir son talent à l'expression de ses visions. Ainsi que les grands chefs-d'œuvre de la littérature mystique, son œuvre doit donc être considérée comme une révélation de l'au-delà. C'était déjà l'opinion du vieux biographe des peintres italiens, Vasari. Les historiens d'art, qui ont étudié Fra Angelico, ont parfois affecté de tenir en mépris les écrivains pieux. Le regretté Raymond Van Marle, dans sa monumentale histoire de la peinture italienne, que la mort interrompit si malheureusement, parle avec dédain de cette « littérature sentimentale et malsaine ». C'est être bien sévère et plus encore injuste. Si certains travaux d'apparence théologico-mystique ne dépassent pas le niveau de l'habituelle littérature d'édification demandée par les fidèles, les ouvrages du Père Beissel, de Strunk, d'Henri Cochin ont permis de définir la position de Fra Angelico par rapport aux grands courants religieux de son temps.
L'interprétation plastique de l'œuvre du peintre et sa position par rapport à la Renaissance, qui n'intéressent pas les écrivains pieux, sont au contraire les points sur lesquels s'est portée l'attention des historiens d'art. Un grand débat a divisé ceux-ci : Fra Angelico appartient-il au Moyen Age ou à la Renaissance?
Langton Douglas, Supino, Muratoff, tiennent pour la seconde conclusion; la première, soutenue par Mile Frida Schottmuller, a pour elle la haute autorité de Bernard Berenson. Adoptant une position intermédiaire, Van Marle voit en Fra Giovanni le peintre le plus caractéristique de la transition entre le Gothique et la Renaissance.
La pacifique figure du frère angélique a donc provoqué une querelle de clercs et de laïcs et une controverse entre historiens d'art. Nous nous efforcerons, dans ce livre, de nous tenir aussi loin de l'une que de l'autre. Aussi bien, la question de savoir si Fra Angelico appartient au Moyen Age ou à la Renaissance n'a plus pour nous le même intérêt. Ayant à prospecter l'immense champ du passé, les historiens du XIX® siècle l'avaient réparti en cantons et, autour de chacun de ceux-ci, avaient élevé un mur, pour que chacun puisse travailler tranquille en son champ. La tâche, à laquelle se sont adonnés nos contemporains, est d'abattre ces clôtures qui limitent l'horizon et de rechercher par-delà les catégories scientifiques définies par l'intelligence, la continuité de l'évolution historique. Au problème ainsi posé, ce livre essaie de répondre. Nombreux sont ceux, à qui la vie et l'œuvre de Fra Angelico sont familières; pour ceux-là, et aussi pour ceux qu'intéressent seules l'idée et l'image, on a cru devoir
proposer, dès l'abord, et sans s'embarrasser d'aucun matériel documentaire, quelques considérations psychologiques, présentées sous forme d'un essai intitulé «l'Humaniste chrétien». L'art de Fra Angelico y est envisagé sous son aspect humain et dans ses rapports avec la civilisation de la Renaissance. Le lecteur soucieux d'une analyse plus approfondie des problème artistique trouvera, dans la deuxième partie imprimé en petit caractère un ensemble documentaire et discursif, où l'art du peintre dominicain est étudié sous ses différents aspects, plastique, iconographique, critique. L'auteur et l'éditeur espèrent, qu'ainsi présenté, ce livre pourra répondre aux désirs des différents publics, auxquels s'adressent les ouvrages d'art.