

Éditions : Hervas
Année : 1992
Pages : 178 P.
Préface Emmanuel Le Roy Ladurie
Comme les signes du zodiaque ou les heures d'une montre, ils sont douze.
Indépendants et complémentaires, riches de leur histoire et de leurs traditions propres, ils unissent leurs volontés pour la plus vaste réalisation humaine de la fin du millénaire.
Ils sont douze aujourd'hui, douze pays d'Europe unie.
L'Europe unie devient-elle enfin réalité ?
A certains égards, la réponse à cette question est indubitablement positive... Un long parcours semé de heurts fâcheux ou de conflits gravissimes s'achève, pour maintes nations, dans l'entente et la paix. Il y a bien sûr de tragiques exceptions, yougoslaves en particulier. Mais les guerres, les conquêtes, les révolutions s'effacent devant la sereine résolution des hommes.
Avec une sage lenteur, l'évolution s'est faite; les traités marquent à leur propos la transition capitale; mais ce sont les hommes et femmes d'Europe, dans leur vie, dans leur culture et dans leurs aspirations, qui l'auront provoquée; voulue, même.
Les Européens d'aujourd'hui ont emprunté, puis poursuivi une voie tracée par ceux de leurs prédécesseurs qui, depuis des siècles, se rencontraient, étrangers et semblables, sur les mêmes routes, aux mêmes foires, dans les mêmes universités. Ces hommes de jadis ont écrit, sans en avoir l'idée parfois, quelques belles pages de l'histoire continentale.
Et le souvenir de leurs pérégrinations fut conservé.
Gardienne des témoignages du passé, conservatrice (au meilleur sens du terme) de la mémoire des hommes et plus spécialement des Français, notre Bibliothèque Nationale se situe, ne serait-ce que professionnellement, au rendez-vous de l'Histoire et des historiens. Ses collections sont riches d'une documentation extraordinaire. Le grand public connaît « par cœur» ou peu s'en faut certains textes du « bon vieux temps », devenus participants à part entière de la culture universelle. Leur notoriété tient au caractère véritablement unique de chacun d'entre eux. Elle est également due l'étrangeté, à la singularité..., à l'universalité des faits qu'ils relatent. Et pourtant, sans vouloir crier, pour un oui ou pour un non, au « chef-d'œuvre inconnu », nous savons bien que des trésors sont ensevelis aujourd'hui encore, anonymes et obscurs, dans les fonds infinis des archives et des bibliothèques, B.N. en tête.
Bruno Blasselle, conservateur en chef au département des Livres imprimés de la Bibliothèque Nationale, explore ci-après les vies quotidiennes du Moyen Age et de la Renaissance, à la recherche des faits, des gestes qui rapprochèrent les habitants d'Europe. Son livre, Chemins de rencontre, est un récit d'aventures, on n'ose pas dire un roman d'aventures; nous y croisons des pèlerins, marchands, imprimeurs, étudiants, des lettrés, des exilés, des diplomates ou des rois. Bref, une foule d'étrangers; ils ont en commun d'avoir bravé les frontières, d'avoir accepté la différence.
Depuis cinq années, la Bibliothèque Nationale et la Banque Nationale de Paris collaborent à l'édition de livres présentant les collections de la Bibliothèque Nationale.
Après quatre ouvrages consacrés aux départements des Estampes, des Manuscrits, des Cartes et Plans, puis de la Musique, les Chemins de rencontre ont aussi le mérite d'être une œuvre puisant ses sources dans l'ensemble des départements de la B.N., une œuvre, si je puis dire, inter-départementale...
Emmanuel Le Roy Ladurie Professeur au Collège de France
Administrateur Général de la Bibliothèque Nationale
Rechercher l'empreinte de l'Europe dans les vies quotidiennes du Moyen Age et de la Renaissance relève en partie d'une gageure. Les faits, les récits, les témoignages attestant des rencontres et des échanges entre Européens de cette époque sont rares, bien plus qu'ils ne le
du XVII siècle.
seront ensuite, après le développement du commerce et des relations internationales, à partir Ce saut dans l'histoire nous a fait côtoyer des ancêtres proches de ce que nous sommes aujourd'hui. Leurs préoccupations, pour différentes qu'elles paraissent, sont encore les nôtres.
Le pèlerin, le marchand, le diplomate, tous ces voyageurs d'Europe, n'avaient pas conscience d'être Européens. Ces premières approches, cette communauté déjà si vivante et seulement ébauchée tarderont longtemps à s'affermir. Le pèlerinage réglementé, encadré, va cesser d'être un exercice personnel et universel de la foi. Le protectionnisme contiendra le marchand et le diplomate s'effacera devant les généraux.
Personne n'entend encore les premiers balbutiements de quelques utopistes - pourtant raisonnables - qui jettent déjà les bases d'une conscience européenne. « Nous devons tout d'abord nous unir entre nous; car, nous autres Européens, nous devons être considérés comme des voyageurs embarqués sur un seul et même navire » écrit le Hollandais Coménius vers 1645.
Aux commandes de ce bateau, il y aura des pilotes pour imposer de mauvais caps. La montée des nationalismes et les rêves d'Empire entraîneront parfois l'instable embarcation dans des tourbillons infernaux.
Mais ici la tempête précède le calme. En confrontant leurs différences, les Européens ont découvert leurs ressemblances. En dispersant dans le monde leur civilisation, leurs langues, leur religion, les habitants de ce continent ont trouvé leur propre unité. Les initiatives cessent d'être individuelles. Ce n'est plus le marchand ou le diplomate qui nous mènent sur les chemins d'une unité européenne, leur démarche est aujourd'hui à l'échelle du monde. Les peuples ont succédé aux hommes. De leur droit à disposer d'eux-mêmes, sans cesse en devenir, nait la volonté nouvelle d'affirmer leur destinée commune.