

Éditeur : le cherche midi
Année : 2000
Pages : 219 P.
Choisies par Jean Orizet
Nous les écorchés vifs, les poètes au cœur en bandoulière, avons tous une dette envers Alphonse Allais
- et spécialement ceux qui, dépourvus d'imagination, empruntent beaucoup aux autres. Alphonse a été tellement pillé qu'on l'a surnommé « La Vache Allais ».
Généralement - vous l'aurez observé - une pensée bien tournée dans une langue châtiée, dotée d'une apparente profondeur de jugement, est attribuée au sieur de La Rochefoucauld: on ne prête qu'aux riches, surtout s'ils sont ducs. Il en va de même, plus près de nous, pour le cher Alphonse. Un mot drôle, un propos étonnant, loufoque, iconoclaste, féroce, amer ou logique jusqu'à l'absurde ne saurait être que d'Alphonse Allais, à la rigueur de Sacha Guitry s'il est question de femmes. Mais sur ce sujet aussi, Allais est incontournable: « Il vaut mieux être cocu que veuf. Il y a moins de formalités », a-t-il écrit. Imparable, non ?
Notre humoriste national, mort en 1905, a bel et bien été un précurseur dans ce qui fera la richesse littéraire, artistique, poétique, ludique du XXe siècle qui vient de s'achever. J'entends par là que, du surréalisme à Raymond Queneau, en passant par Prévert, Desproges, Devos ou Coluche, l'influence d'Allais se fait sentir, même chez ceux qui, d'ordinaire, ne sentent rien. Prenez la réforme de l'orthographe. Allais y avait songé bien avant Queneau et sa bande de l'Oulipo. Il avait écrit:
«Kan on fé une réform, il fo la fer radical ou ne pas san mêlé, voilà mon avi!» Et Prévert aurait fort bien pu écrire: « Quand on est Polonais, on s'appelle Chopinski, que diable!», mais Alphonse était passé avant. Cette autre encore, que n'eût pas désavoué Pierre Dac: « En été, à Honfleur, il y fait rudement chaud pour une si petite ville. »
Allais reste un grand méconnu à l'œuvre immense, en quantité comme en qualité. Il a écrit, en 25 ans, près de 1 700 contes. Si on y ajoute les poèmes, les fables-express, les distiques olorimes, les recettes de cocktails du Captain Cap et les histoires en tous genres, cela représente au moins deux dizaines de volumes. L'œuvre éparpillée est difficile à consulter, sauf à se transformer en rat de Bibliothèque Nationale. Mais il en reste assez pour notre bonheur. On trouvera dans ce livre le fin du fin (en latin: nec plus ultra ; en anglais : best-of).
Vous vous régalerez comme moi à picorer chez Alphonse Allais avec gourmandise. Chaque page réserve au moins deux ou trois pépites de rire. Allez (ou Allais), une dernière pour vous mettre en appétit; elle est sublime et bien des poètes pourraient en prendre de la graine:
* Dien n'a pas fait d'aliments bleus. Il a voulu réserver l'azur pour le firmament et les yeux de certaines femmes. »
Jean ORIZET