

Éditeur : Maloine
Année : 1983
Pages : 203 P.
IL est sept heures. J'ai passé dehors cette chaude nuit d'été.
Le soleil du seize juillet me réveille et me dit "bonjour". Je m'active avant l'arrivée des participants: je dépose tout autour de la salle de groupe, des tapis et de grands coussins carrés, - cette disposition offre davantage de mobilité - , j'enlève chaises et fauteuils, j'achève de tondre la pelouse pour les campeurs.
Dès neuf heures, j'accueille les premiers arrivants. Je leur fais visiter la maison, et chacun cherche où aménager son nid: cinq chambres à un ou deux lits, deux dortoirs et le jardin.
A dix heures et demie, nous nous réunissons dans la salle de groupe. La plupart ne se connaissent pas. Aussi, au cours des séances de ce premier jour, ai-je l'intention de pratiquer beaucoup d'exercices de communication, d'écoute, de rencontre deux à deux, qui leur donneront l'occasion de parler chacun à leur tour. Dès lors, ils auront la possibilité de faire rapidement connaissance, de manière suffisamment profonde, et d'entrer en contact avec plusieurs participants afin de rompre la glace.
Les premières heures sont habituellement pénibles, parce qu'il
est assez intimidant de s'exprimer au milieu d'un groupe. Ma façon de procéder contourne cette difficulté, ou, du moins, tend à l'apprivoiser progressivement. En effet, au terme de l'exercice, chaque participant peut communiquer son sentiment. En quelques séances, je souhaite leur faire parcourir un chemin fort long, du plus conventionnel au très personnel.
PARDON. VEUILLEZ M'EXCUSER
Ainsi, je débute la réunion par une invitation: "Levez-vous... Fermez les yeux et promenez-vous dans la pièce. Marchez très lentement, les mains derrière le dos. Quand vous rencontrez quelqu'un, de-mandez-lui: "Pardon, veuillez m'excuser". Si quelqu'un vous heurte, ajoutez: "Ne me touchez pas". Au premier abord, cet exercice semble anodin, risible. En réalité, il permet d'amplifier nos comportements quotidiens. Il souligne le ridicule des formules toutes faites, des replis sur soi, des mises à distance, c'est-à-dire, le contraire de l'affirmation et de la rencontre réelles. J'entends alors des "pardon, pardon...veuillez m'excuser" timides, suivis de "ne me touchez pas"
de plus en plus déterminés.
John, le premier, hausse le ton et crie: "Ne me touchez pas".
Il m'étonne, lui auparavant gauche, réservé, soumis, presque étranglé. Je l'ai connu trois ans plus tôt, lorsqu'il terminait ses études d'ingénieur agronome. Il est l'aîné d'une famille bourgeoise: son père est pharmacien, bien implanté, très traditionnel; sa mère les domine tous les deux. Ses frères et sœurs, à l'époque, étaient à l'université, tandis que lui achevait péniblement des études qu'il n'aimait guère et qu'il n'avait pas choisies. Il était empoté, lourd sur ses jambes frêles, avec le visage triste, un peu figé. Epais physiquement et mentalement, il ne lui restait guère de joie de vivre. Son père, quant à lui, en se réfugiant dans son travail, cherchait à éviter la situation familiale, et surtout son épouse. Il avait lui-même choisi ce métier de façon anxieuse: il n'avait pas confiance en lui et avait opté pour une profession où les autres avaient besoin de lui. Sa serviabilité devait le sécuriser.
John, également, se cantonnait dans ses études. Il vivait dans une communauté d'étudiants, où il était d'ailleurs mal intégré. Cette famille recelait beaucoup d'agressivité, et ne rayonnait d'aucune chaleur humaine. Elle était anti-vie, chacun éprouvant le besoin de fuir pour exister. La GESTALT-THÉRAPIE inventée par Fritz PERLS (USA) est issue de la psychanalyse dont elle utilise certains procédés diagnostiques comme les résistances.
Elle puise chez W. REICH et la bioénergie de nombreuses données sur les relations entre les émotions et le corps. Elle s'inscrit dans des nouvelles thérapies du mouvement humaniste insistant sur l'ici et le maintenant où chacun répète les blessures du passé.
C'est surtout dans les moyens thérapeutiques que la Gestalt trouve son originalité: centrage constant sur la prise de conscience des sentiments et du corps et mise en action des nouveaux comportements en vue de réduire les résistances qui font obstacle au contact.
Ce livre décrit l'expérience vécue des séjours thérapeutiques communautaires et apporte par là un éclairage particulier sur les processus vécus dans la famille, dans le couple, dans le travail et la société.