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Éditions : Gallimard nrf
Année : 1965
Pages : 578 P.
A CHILLE était éberlué. Il ne bégayait pas, l'habitude du commandement (et souvent dans des circonstances difficiles) lui avait assuré la voix une fois pour toutes, mais il faisait des phrases courtes et il avalait un peu ses fins de mots, ce qui était manifestement le signe qu'il désirait par-dessus tout en finir avec moi.
— Tu refuses l'invitation du préfet! J'étais dans un de mes bons jours, je répondis gentiment :
— Présentée de cette façon (qui est cependant la bonne), la chose manquerait un peu de diplomatie. Il y a le pot de terre et il y a le pot de fer; ce n'est pas un simple capitaine de gendarmerie comme moi...
— Ni même un colonel, dit Achille en plaquant sa main grand ouverte sur sa poitrine, et d'ailleurs, pourquoi veux-tu que je fasse de la diplomatie pour une chose aussi simple que le bal de la préfecture?
Ce brave Achille est bien le seul à voir encore de la simplicité dans une préfecture - surtout la nôtre - même pour un bal — surtout pour un bal, la nuit du 27 juillet, alors que dans les blés coupés, les grillons eux-mêmes, morts de chaleur, ne peuvent plus bouger un poil.
S'il y avait eu moyen d'user à l'égard d'Achille d'un peu de connivence, je l'aurais fait. C'est bien dommage que je ne sois pas un grand seigneur, mais, depuis Waterloo, je n'ai que mon métier pour me tenir propre, je l'exerce.
La malice était cousue de fil blanc : on nous disait, somme toute, qu'on n'avait pas besoin de prendre des gants pour nous berner. Dans le canton de ma juridiction, dont le centre est le casernement solitaire de ma demi-brigade, au lieu-dit les quatre chemins, sur la route d'Italie, au carrefour de celle qui descend des montagnes et va vers la mer, je trotte tous les jours que Dieu fait, à la recherche de quoi fouetter les chats et j'en trouve. Le territoire dont j'ai la surveillance va de Saint-Maximin à Châteauneuf, le rouge, et des confins de la Sainte-Beaume jusque dans les bois profonds de la Gardiole, de la Séouve et du Sambuc, où l'on a pris soin de ne pas délimiter exactement mes frontières.
Rien que sur le parcours de la grand-route, j'ai des espions dans cinq auberges, demi-espions ou même quarts ou huitièmes qui mangent à divers râteliers... mais à qui j'ai su inspirer assez de sainte frousse pour être sûr de ce qu'ils donnent en échange de rien du tout; un œil fermé de temps à autre, quand il ne s'agit pas d'affaires d'état. On m'aime dans trois cabanes de bûcheron sur dix, ce qui est une excellente proportion, car dans les sept autres on me hait, et la haine ne fait pas de cocus, on peut s'y fier. Par-dessus tout, il y a ce que je vois, ce que j'entends, ce que je renifle du haut de mon cheval.
Nous étions le 20 juillet. Le 4 juin, le 6 juin, le 13 juin, on avait dévalisé sans coup férir, et avec une désinvolture qui me disait quelque chose, la diligence de Sisteron à Manosque, celle de Digne à Riez et la voiture publique de Comps à Draguignan. Chaque fois, on avait emporté la caisse du payeur général. Rien de tout ça ne nous concernait : ils avaient des préfets et des gendarmes dans les Basses-Alpes et dans le Var. Rien ne nous concernait non plus dans un coup qui s'était fait le 21 juin au fond d'un pays perdu du côté du logis du Pin où trois perceptions avaient été mises à sac en vingt-quatre heures dans un périmètre de cinquante kilomètres carrés, ce qui dénote de fameux cavaliers et mit presque un nom sur mes lèvres (quand j'étais seul car, je suis comme les chasseurs de tempérament, je garde le gibier pour moi). Il ne s'agissait surtout pas d'aller me mêler de ce qui ne me regardait pas : que le fermier garde ses poules; mais, si je peux savoir de quelle haie va débusquer le renard, mon plaisir veut que ce soit à côté de celle-là que j'aille me poster.
LE BAL - Une illustration de Roland OUDOT.
1. Sur la route d'Italie... .
L'ÉCOSSAIS - Deux illustrations de Roland OUDOT.
2. Le haillon accroché à un buisson.
3. Le village de Rougier . • •
ANGELO - Cinq illustrations de Roland OUDOT.
4. Sur la place. •
5. Le chemin de traverse
6. La fontaine. •
7. Dans le vallon
8. Le pavillon.
LE HUSSARD SUR LE TOIT - Douze illustrations d'Yves BRAYER.
9. La montée .
10. Les melons .
11. Les corbeaux.
12. Les cadavres .
13. La charrette •
14. Sur les toits. •
15. La chambre. •
16. La nonne. • •
17. Les guerriers empanachés.
18. Les oiseaux. •
19. Le colonel . .
20. Le départ.
LE BAL. •
L'ÉCOSSAIS OU LA FIN DES HÉROS.
ANGELO
LE HUSSARD SUR LE TOIT