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Éditeurs : Paris, Tresse & Stock
Année : 1893
Pages : 295 P.
Exemplaire Numéroté : 10
Il a été tiré à part, de cet ouvrage, sur papier de Hollande, dix exemplaires numérotés à la presse.
J'ai un ami qui met une bonne volonté, vraiment touchante, à comprendre les choses. Tout naturellement, il aspire à ce qui est simple, grand et beau. Mais son éducation, encrassée de préjugés et de mensonges, inhérents à toute éducation, dite supérieure, l'arrête, presque toujours, dans ses élans vers la délivrance spirituelle. Il voudrait s'affranchir complètement des idées traditionnelles, des séculaires routines ou son esprit s'englue, malgré lui, et ne le peut.
Souvent, il vient me voir et nous causons longuement. Les doctrines anarchiques, si calomniées des uns, si mal connues des autres, le préoccupent ; et son honnêteté est grande, sinon à les accepter toutes, du moins à les concevoir.
Il ne croit pas, ainsi que le croient beaucoup de gens de son milieu, qu'elles consistent uniquegné dans ce bagne : le travail ; il lui filoute sa liberté à toute minute entravée par les lois; des sa naissance, il tue ses facultés individuelles, administrativement, ou il les fausse, ce qui revient au même. Assassin et voleur, oui, j'ai cette conviction que l'État est bien ce double criminel.
Des que l'homme marche, l'État lui casse les jambes; dès qu'il tend les bras, l'État les lui rompt; dès qu'il ose penser, l'État lui prend le crâne, et il lui dit: « Marche, prends, et pense. »
- Eh bien? fis-je.
Mon ami continua :
— L'anarchie, au contraire, est la reconquête de l'individu, c'est la liberté du développement de l'individu, dans un sens normal et harmonique. On peut la définir d'un mot : l'utilisation spontanée de toutes les énergies humaines, criminellement gaspillées par l'État! Je sais cela... et je comprends pourquoi toute une jeunesse artiste et pensante, — l'élite contemporaine - regarde impatiemment se lever cette aube attendue, où elle entrevoit, non seulement, un idéal de justice, mais un idéal de beauté.
- Eh bien? fis-je de nouveau.
- Eh bien, une chose m'inquiète et me trouble: le côté terroriste de l'anarchie, Je répugne aux moyens violents; j'ai horreur du sang et de la mort, el je voudrais que l'anarchie attendit son triomphe de la justice seule de l'avenir.
•— Croyez-vous donc, répliquai-je, que les anarchistes soient des buveurs de sang? Ne sentez-vous pas, au contraire, toute l'immense tendresse, tout l'immense amour de la vie, par qui le cœur d'un Kropotkine est gonflé. Hélas! ce sont là des tristesses inséparables de toutes les luttes humaines, et contre lesquelles on ne peut rien... Et puis !... voulez-vous que je vous fasse une comparaison classique?... La terre est des- , séchée; toutes les petites plantes, toutes les petites fleurs sont brûlées par un ardent, par un persistant soleil de mort; elles s'étiolent, se penchent, elles vont mourir... Mais voici qu'un nuage noircit l'horizon, il s'avance et couvre le ciel embrasé. La foudre éclate, et l'eau ruisselle sur la terre ébranlée. Qu'importe que la foudre ait brisé, çà et là, un chêne trop grand, si les petites plantes qui allaient mourir, les petites plantes abreuvées et rafraichies, redressent leur lige, et remontent leurs fleurs dans l'air redevenu calme ?... Il ne faut pas trop, voyez-vous, s'émouvoir de la mort des chênes voraces... Lisez le livre de Grave... Grave a dit, à ce propos, des choses excellentes. Et si, après avoir lu ce livre, où tant d'idées sont remuées et éclaircies, si après l'avoir pensé, comme il convient à une œuvre de cette envergure intellectuelle, vous ne pouvez parvenir à vous faire une opinion stable et tranquille, mieux vaudra, je vous en avertis, renoncer à devenir l'anarchiste que vous pouvez être, et rester le bon bourgeois, l'impénitent et indécrottable bourgeois, le bourgeois « malgré lui », que vous êtes, peut-être...
Octave Mirbeau
PRÉFACE . •
1. - L'idée anarchiste et ses développements.
II. - Individualisme, solidarité.
1II. - Trop abstraits . .
IV. - L'homme est-il mauvais ?
V. - La propriété.
VI. - La famille
VII. - L'autorité
VIII. - Magistrature
IX. - Le droit de punir et les savants .
I. - Influence des milieux.
XI. - La patrie.
XII. - Le patriotisme des classes dirigeante-
XIII, - Le militarisme.
XIV. - La colonisation.
XV, - Il n'y a pas de races inférieures.
XVI. - Pourquoi nous sommes révolutionnaires. . .
XVII. - Comme quoi les moyens découlent des principes
XVIII. - Révolution et anarchie
XIX. - Inefficacité des réforme:
XX. - Et après?. •
XXI. - Les idées anarchistes et leur praticabilité
INII. - La vérité sans phrases.