

Éditions : Du Taillefer
Année : 1975
Pages : 318 P.
On a toujours eu trop tendance à considérer l'aventure de MANDRIN comme du folklore.
Certes sa vie ne manque pas de pittoresque, mais c'est singulièrement réduire cette action que de la voir sous cet aspect.
On peut dire, sans forcer les mots, que sa lutte contre les fermiers généraux, les réactions diplomatiques à la suite de son enlèvement en
pays étranger, le vaste mouvement d'opinion provoqué par l'ampleur de l'affaire, l'évolution des idées déclenchée dans les milieux les plus divers, constituent un moment non négligeable de l'Histoire de France.
René FONVIEILLE, dont les ouvrages sur le Dauphiné font autorité, s'est basé, pour écrire ce livre passionnant, sur les documents les plus authentiques.
Pour permettre au lecteur de vivre cette extraordinaire aventure, l'auteur publie en ANNEXES de très nombreuses pièces d'archives inédites. C'est ainsi qu'on peut prendre connaissance, avec le plus vif intérêt, de toute la correspondance échangée entre les auteurs de l'enlèvement de MANDRIN et le Ministre de la Guerre.
On y découvre des attitudes et des sentiments absolument surprenants. Imaginons que l'on puisse avoir accès au dossier ultra-secret de
l'enlèvement du Colonel ARGOUD en République fédérale allemande!
On pourrait apprendre des choses passionnantes, et, en même temps, faire des comparaisons avec celui de MANDRIN sur le territoire du Roi de Sardaigne.
Des illustrations, en hors texte, reproduisant des gravures d'époque, ainsi que des facsimilés de documents, contribuent à rendre encore plus vivante cette évocation d'un passé mouvementé et riche en couleurs.
L'amateur de psychologie sera comblé en lisant, dans les Annexes, les documents inédits.
Chacun des signataires de ces écrits montre. avec une extraordinaire intensité, ses qualités et, le plus souvent, ses travers ridicules ou un cynisme révoltant. Tous, vraiment, se sont montrés tels qu'ils étaient. Un bel échantillonnage d'hommes!
Quelques exemples :
Le marquis de Ganay, gouverneur d'Autun, soumet, avec force détails, au ministre de la
Guerre un projet consistant à aller surprendre le chef contrebandier dans son repaire de Savoie, pour le faire prisonnier ou le tuer. Il espère ainsi se distinguer pour obtenir de l'avancement.
Lorsqu'il apprend que l'enlèvement de Mandrin a été réalisé par un autre, le colonel de la Morlière, il pleurniche (il n'y a pas d'autre mot) sur la récompense qui lui passe sous le nez. Un dadais pour son âge!
Quant au colonel de la Morlière, ses lettres sont des chefs-d'œuvre de duplicité et de cynisme : il ment effrontément à son chef direct, le comte de Marcieu, commandant des troupes royales en Dauphiné, sur les circonstances du rapt de Mandrin exécuté à son insu; il explique avec désinvolture à ses acolytes ce qu'il faut raconter pour travestir les faits. Un soudard « barbouze »!
Le comte de Marcieu, furieux d'avoir été mené en bateau par le colonel de la Morlière, réclame des sanctions contre lui, puis accepte de se taire pour raison d'Etat. Un vrai gentil-homme !
Tous les autres documents débordent également de vie : rapports des espions envoyés pour surveiller Mandrin, procès-verbaux relatant les actions des contrebandiers, rapports sur les violences exercées par les troupes françaises sur les populations de Savoie, lettres du roi de Sardaigne pour protester contre la violation de son territoire, été...
C'est la première fois (depuis plus de deux siècles) que l'on pourra consulter le dossier de l'affaire Mandrin : l'avantage est de pouvoir se faire une opinion personnelle sans être obligé de s'en rapporter à celle d'un auteur, tout en dégustant les savoureuses réflexions des nombreux acteurs de cette tragi-comédie.
son adolescence ouvre les yeux sur un monde où les seigneurs, les juges et les prêtres érigent la rapine en système et mettent à son service les lois humaines et divines. son adolescence ouvre les yeux sur un monde où les seigneurs, les juges et les prêtres érigent la rapine en système et mettent à son service les lois humaines et divines.
Défenseur de sa propre cause en même temps que de celle des autres, ni égoïste au point de fuir, ni altruiste au point de fonder une doctrine, Mandrin apparaît comme un homme parfois brutal, quelquefois paillard et buveur, de belle humeur quand il peut, juste à la façon sommaire d'un baron féodal, jamais cruel, jamais lâche. Il n'a jamais beaucoup parlé, beaucoup écrit. Nous ne le connaissons que par ses actes, ses six campagnes à travers une grande partie du Sud-Est de la France, et cela suffit pour que Stendhal l'ait comparé à un Bonaparte de la contrebande en affirmant qu'il « eut cent fois plus de talent militaire que tous les généraux de son temps ». N'est-ce rien, a la tête de bandes hétéroclites d'hommes dans son cas, de pénétrer aussi bien a Nîmes qu'au Puy, à Bourg-en-Bresse, à Beaune ou à Montbrison, pour y rétablir à chaque fois une sorte de commerce libre et populaire du tabac, des indiennes, des mousselines, et de toutes ces denrées venues de Suisse ou de Savoie, dont la Ferme générale se réservait d'assimiler la vente taxée à une sorte d'impôt exorbitant ?
S'il y a du Bonaparte de frontières en Mandrin, il annonce aussi Babeuf par ce socialisme élémentaire qui mêle la révolte et la redistribution des biens. « Il n'est pas croyable combien on rapporte d'actions qu'il avait faites où qu'il y avait (sic) de la hardiesse, du courage, de la résolution et, selon lui, de la droiture : mais les fermiers généraux raisonnaient différemment »... « Le peuple aime ce Mandrin à la fureur », écrivait Voltaire. « Il s'intéresse pour celui qui mange les mangeurs de gens ». Et Voltaire, toujours : « Ce Mandrin a des ailes, il a la vitesse de la lumière... Mandrin fait trembler les suppôts du fisc. C'est un torrent, c'est une grêle qui ravage les moissons dorées de la Ferme ».
Autant de textes exhumés par René Fonvieille.
Cela ne pouvait donc durer. Trente ans plus tard, il aurait pu être un des vainqueurs de la Bastille, ou avoir le destin d'un Drouet, le maître de postes de Varennes devenu Conventionnel, d'un Marceau, ou pourquoi pas d'un Bernadotte, cet autre homme des montagnes ?
Roi de Suède ou de Naples, l'entant du Dauphiné ? Comme ce livre fait rêver...