

Éditeurs : Paris, Michel Lévy Frères, Libraires
Année : 1866
Pages : 319 P.
nouvelle édition
NoLes Amours de L'Age D'Or
Evenor et Leucippe
En général, une préface est destinée à faire ressortir, le plus modestement que l'on peut, les qualités du livre que l'on présente au lecteur. Il serait mieux entendu de lui en signaler tous les défauts; dûment averti, il en serait mieux disposé à l'indulgence.
Je vais essayer de cette méthode en disant qu'Évenor et Leucippe n'est ni une histoire, ni un roman, ni un poème proprement dit; que le livre est peut-être fort prosaïque pour ceux qui ne voudraient y trouver qu'une fantaisie, et très-osé pour ceux qui le prendraient trop au sérieux.
C'est comme le discours préliminaire, sous forme de récit, d'un ouvrage que j'avais entrepris et auquel je n'ai pas tout à fait renoncé : ouvrage qui serait, à la fois, le roman et l'histoire de l'amour à travers tous les âges de l'humanité. Par amour, je n'entendrais pas seulement l'attrait réciproque des sexes, mais tous les grands amours; et, pour commencer, le conte d'Evenor et Leucippe est tout aussi bien le développement du sentiment maternel que celui du sentiment conjugal.
Voulant faire les choses en conscience, j'ai du remonter à la manifestation du premier amour intellectuel dont les mythes anciens nous ont transmis la légende, et, trouvant que celle d'Adam et Ève avait été surabondamment amplifiée et commentée, j'ai choisi des types moins arbitraires. Les motifs de ce choix, comme ceux des inductions romanesques auxquelles je me . suis abandonnée avec une complaisance que le lecteur ne partagera peut-être pas, on les trouvera à travers le livre, et c'est encore la un des défauts que je dois signaler à la critique pour faciliter son travail, et au lecteur pour l'engager à la patience.
GEORGE SAND.
Nobant, 25 aout 1855.
Au sein du puissant univers, la rencontre des nuées cométaires engendra un corps brûlant qui roula aussitôt dans les abîmes du ciel, obéissant aux lois qu'il y rencontra; lois éternelles, dont les accidents les plus formidables à nos yeux ne sont que les conséquences nécessaires d'un ordre pré-• établi, infini, éternel dans son ensemble.
La suprême loi de l'univers, c'est la vie. Le dispensateur infatigable de cette vie sans repos et sans limites, c'est Dieu. Donner la vie est un acte d'amour. Dieu est donc le foyer universel de l'amour infini.
Ces dépôts, éléments ou débris de matière cosmique qu'on appelle nébuleuses, comètes, astéroïdes, etc., sont comme la poussière créatrice des mondes. Le nôtre en est une compensation et une combinaison quelconque. Leur approche épouvante les hommes, et pourtant la vie est dans le sein de ces foyers mystérieux répandus dans l'espace.
Ce monde, un des plus petits de ceux qui peuplent l'intini, vécut donc d'une vitalité brûlante, dès l'instant où il prit une marche régulière dans ces champs de l'Ether où sa route venait de lui être imposée. Une masse de substances en fusion s'étreignant et se dévorant sans cesse, tel fut le théâtre du gigantesque incendie qui, durant des chaînes de siècles véritablement démesurées, apparut dans les plaines du ciel, comme un imperceptible flambeau, étoile ou comète, pour les habitants des autres mondes.